Quid du rôle du courtier en cas de décès de l’assuré d’un contrat d’assurance-vie ?
Contexte
Notre client vient de décéder et rares ne sont pas les occasions où le courtier luxembourgeois est contacté par des héritiers de notre supposé client ou un notaire qu’il soit Luxembourgeois ou étranger. Pour n’en reprendre que les plus légitimes, leur objectif est souvent d’obtenir des informations sur un (éventuel) contrat d’assurance-vie stipulé en leur faveur ou afin de permettre le calcul de la réserve héréditaire.
Dans de tels contextes, le réflexe de bonne foi (et commercial) du courtier pourrait être de remettre les informations demandées à l’interlocuteur.
Ainsi, la responsabilité pénale d’un courtier pourrait-elle être engagée en l’absence d’un mandat de recherche de la part de l’entreprise d’assurance? La divulgation de bonne foi de la part du courtier semble en effet ouvrir la voie à de nombreux débats et à une insécurité juridique en défaveur du courtier. Il faut se rappeler que notre secret professionnel d’assurance est une disposition d’ordre public, à caractère pénal et aux applications restrictives.
Stipulation pour autrui, mandat de courtage: cadre contractuel
Analysons la situation d’un point de vue juridique.
Tout d’abord, l’entreprise d’assurance-vie et le courtier d’assurance-vie opèrent dans des cadres contractuels bien différents. En effet, d’une part l’assureur évolue dans une construction juridique appelée la stipulation pour autrui alors que le courtier évolue, lui, dans le cadre du mandat de courtage qu’il reçoit du preneur d’assurance.
Dans la stipulation pour autrui, le Stipulant (Preneur) demande au Promettant (Assureur-Vie) d’agir en faveur d’un Bénéficiaire (un Tiers) au moment du décès de l’assuré.
En revanche, le courtier reçoit un mandat par lequel le client, futur Stipulant, demande au Courtier d’assurance de l’assister dans le choix et l’administration d’un contrat d’assurance sur la vie (la Stipulation pour autrui).
Cette différence est fondamentale pour comprendre que selon le mandat de courtage, la mission du courtier d’assurance pourrait bien prendre fin au décès du dernier assuré. En aucun cas, les bénéficiaires en cas de décès ne sont contractuellement liés par le mandat de courtage donné par le preneur d’assurance. Ce n’est éventuellement que dans le cas d’une acceptation du bénéfice du contrat de la part du bénéficiaire que ce dernier pourrait entrer dans le périmètre contractuel du mandat de courtage. A cet effet, d’ailleurs, il convient de rappeler qu’il sera opportun pour le courtier d’appliquer ses obligations de vigilance et d’audit anti-blanchiment sur ce bénéficiaire acceptant avant l’entrée en relation. En effet, même si les termes du Règlement du Commissariat aux Assurances nr. 20/03 obligent les professionnels à vérifier l’identité des bénéficiaires au plus tard lors de la prestation d’assurance (le cas de décès), il n’en reste pas moins que l’acceptation du bénéficiaire lui donne des droits sur le contrat d’assurance-vie et peut-être aussi sur le mandat de courtage dès lors que le Preneur ait exprimé dans ses besoins et nécessités le désir d’une planification successorale. C’est une manière de ramener dans la recommandation personnelle (obligatoire) du courtier les éléments relatifs à l’identification des bénéficiaires en cas de décès. Ainsi donc, nous assisterions à une courtagisation[1] du bénéficiaire acceptant. Ne sera-t’il pas, dès lors, nécessaire de requérir l’autorisation du bénéficiaire acceptant en cas de modification demandée par le Stipulant/Preneur de ses besoins et nécessités ? Il y a donc un impact juridique sur le contrat de courtage.
Dès lors, en cas de décès de l’assuré et en l’absence de bénéficiaire acceptant, fort est de constater que la mission de courtage prend fin et que le courtier devient un tiers dans la gestion de la prestation que l’entreprise d’assurance-vie doit au(x) bénéficiaire(s).
Les parties encore engagées à ce stade sont le(s) bénéficiaire(s) et l’entreprise d’assurance-vie. Le(s) bénéficiaire(s) reçoive(nt) un droit contre la partie prometteuse (l’assureur-vie) et non contre le courtier d’assurance.
Par conséquent, en toute contradiction avec une logique commerciale mais en application des règles juridiques, il pourrait être indélicat, pour le courtier, d’intervenir auprès de bénéficiaire(s) après le décès de l’assuré.
[1] Terme du rédacteur pour indiquer qu’un courtier acquiert une obligation d’analyse de cet élément dans sa recommandation personnelle.
La loi en déshérence: quel impact ?
En ce sens aussi, le projet de loi n° 7348 relative aux comptes inactifs, aux coffres-forts inactifs et aux contrats d’assurance en déshérence déposé à la Chambre des Députés le 30 octobre 2018 ne mentionne que les entreprises d’assurance sans tenir compte de la position du courtier lorsqu’il s’agit de rechercher le(s) bénéficiaire(s) et de leur délivrer la prestation d’assurance. Le texte stipule en son article 22 (4) « Aux fins des recherches complémentaires prévues par la présente loi, les entreprises d’assurance peuvent recourir aux services de tiers qui sont soumis par la loi à une obligation de secret professionnel ou qui sont liés par un accord de confidentialité écrit.
Dans ce cas, la transmission au tiers d’informations strictement nécessaires à l’accomplissement des recherches complémentaires ne constitue pas une violation par l’entreprise d’assurance de son obligation au secret professionnel.”[1]
Le courtier trouverait donc bien une place dans la recherche et le contact avec les bénéficiaires en cas de décès uniquement sur initiative de l’entreprise d’assurance.
Il est donc important de souligner ici encore combien il serait utile, pour le courtier et l’assureur, dans le contexte normatif actuel et lors d’un décès d’assurés déclenchant la prestation d’assurance, que le courtier obtienne un mandat ou une légitimation de la part de l’assureur afin de trouver et contacter les bénéficiaires en cas de décès. Ceci protégerait davantage le courtier – et l’assureur – dans cette démarche contre d’éventuels recours d’une personne lésée sur base de l’article 300 de la loi sur le secteur des assurances du 7 décembre 2015.
[1] Le texte final pourra différer de cette version initiale.
Conclusion
Tentons maintenant de répondre à notre casus initial. Le courtier peut-il donner des informations sur un contrat d’assurance-vie à des héritiers ou un notaire?
A en lire les textes de lois relevants, rien n’est moins certain.
En effet,
Art. 300 (1) Les personnes physiques et morales établies au Grand-Duché de Luxembourg, soumises à la surveillance prudentielle du CAA … sont obligées de garder secrets les renseignements confiés à eux dans l’exercice de leur mandat ou dans le cadre de leur activité professionnelle, .. La révélation de tels renseignements est punie des peines prévues à l’article 458 du Code pénal.
Art. 300 (2) L’obligation au secret n’existe pas lorsque la révélation d’un renseignement est .. nécessaire dans le cadre de l’exécution de bonne foi des engagements découlant des contrats d’assurance ..
Art. 300 (10) La violation du secret demeure punissable alors même que la charge, le mandat, l’emploi ou l’exercice de la profession a pris fin.
Ainsi, la responsabilité pénale d’un courtier pourrait être engagée en l’absence d’un mandat de recherche de la part de l’entreprise d’assurance. La divulgation de bonne foi de la part du courtier semble en effet ouvrir la voie à de nombreux débats et à une insécurité juridique en défaveur du courtier. Il faut se rappeler que notre secret professionnel d’assurance est une disposition d’ordre public, à caractère pénal et aux applications restrictives.
Privilégions donc le dialogue avec l’assureur à défaut de dispositions légales différentes.
NB : l’article n’engage que son auteur et ne représente pas l’avis de l’APCAL ou de tout autre opérateur. Il ne représente pas non plus un avis juridique circonstancié mais n’est que le partage d’une réflexion.
Takeaways
- Best practice: Obtenir un mandat de recherche de la part de l’assureur dès que le courtier a pris connaissance du décès d’un assuré.
- Invitez vos interlocuteurs à retourner toute demande d’information concernant un contrat d’assurance-vie à qui peut les divulguer (référez-vous à des statuts comme par exemple « un assureur », « une banque »).
Lorenzo Stipulante
Juriste, Membre du Conseil d’Administration de l’APCAL depuis octobre 2020, tout particulièrement impliqué dans le Pôle juridique, LBC/FT et Compliance, il est aussi formateur au sein de notre association.
Lorenzo a un esprit d’entreprise aigu et une belle énergie. Il additionne à un parcours universitaire en droit une expertise sur la conformité réglementaire et à la lutte LBC/FT.
Il a développé des compétences et un savoir-faire uniques mêlant, au fil des années, des fonctions commerciales, des fonctions de direction et des fonctions juridiques. Ses compétences transversales se développent dans les aspects règlementaires de la finance et de la banque assurance.
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