Assurance vie et domiciliation du souscripteur : des liaisons dangereuses
Par Me Olivier Roumélian, Avocat au barreau de Paris et Avocat Associé chez Artésia.
De longue date, on sait l’assurance vie au coeur de nombreuses problématiques juridiques et fiscales lesquelles donnent lieu à une abondante jurisprudence.
Désormais, à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2023, l’assurance vie s’invite dans la question relative à la domiciliation des Français ayant décidé de s’installer à l’étranger en prévision de leur succession.
Me Olivier Roumélian partage avec nous l’article qu’il a écrit pour le Bulletin Juridique des Assurances (BJDA) et ce que cela signifiera pour les acteurs de l’assurance.
1. Le Portugal, nouvel eldorado pour retraités fortunés ?
Dans l’affaire qu’elle a été amenée à juger, la Cour de cassation devait statuer sur la résidence habituelle d’un retraité français qui avait choisi de s’établir au Portugal avec sa seconde épouse ; la misère étant à coup sûr moins pénible au soleil a fortiori pour une personne ayant souscrit en libre prestation de services auprès d’un assureur luxembourgeois un contrat d’assurance vie alimenté par une prime de près de six millions d’euros.
Si l’on inclut les binationaux, le nombre de Français établis au Portugal est estimé à plus de trente mille. Les raisons qui expliquent que cette destination séduit autant les Français tiennent au cadre de vie, voire à la recherche d’avantages civils et/ou fiscaux.
Au cas d’espèce, le défunt avait notamment déposé un testament auprès d’un notaire portugais par lequel il avait institué son épouse héritière de sa quotité disponible et fait le choix de la loi portugaise pour régir sa succession.
A noter que les différents avantages fiscaux consentis depuis 2009 devraient disparaitre dans un futur proche ; les exonérations déjà accordées restant toutefois en vigueur.
2. La notion de résidence habituelle
Soutenant que le de cujus avait sa résidence habituelle en France au jour de son décès, ses deux filles nées d’un premier lit, représentées par leur mère agissant en sa qualité de tutrice, ont assigné la veuve du défunt en partage de la succession devant une juridiction française. Elles ont également assigné en intervention forcée les autres bénéficiaires du contrat d’assurance vie. L’assureur luxembourgeois est, quant à lui, intervenu volontairement à l’instance.
Dans cette affaire, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait jugé qu’au jour de son décès, le défunt n’avait pas établi de manière stable et effective sa résidence habituelle au Portugal, l’objectif poursuivi étant de voir appliquer la loi portugaise à sa succession. En conséquence, c’est donc bien un tribunal judiciaire français qui devait être compétent pour connaître dudit litige successoral.
En réponse aux pourvois qui lui ont été transmis, conformément à sa jurisprudence, la Cour de cassation a énoncé qu’aux termes de l’article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, les juridictions de l’Etat membre, dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès, sont compétentes pour statuer sur l’ensemble de sa succession.
3. Un lien étroit et stable avec l’Etat de résidence
Selon le considérant 23 de ce règlement, compte tenu de la mobilité croissante des citoyens, afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession doit procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence, la résidence habituelle ainsi déterminée devant révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du règlement.
Après avoir constaté que le défunt ne s’était installé au Portugal qu’à compter du 28 juin 2016 et qu’étant décédé le 20 novembre 2016, certes d’une imprévisible crise cardiaque, il n’y avait résidé que quatre mois et vingt-trois jours, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a relevé que :
– celui-ci avait entrepris très tardivement d’apprendre le portugais,
– qu’au moment de son décès, il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises
– et que, s’il était propriétaire avec son épouse d’au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France et que l’examen des nombreuses attestations produites révélait que les familles des époux, la plupart de leurs relations amicales, ainsi que les principaux bénéficiaires du contrat d’assurance vie, étaient domiciliés en France.
Des séjours répétés au Portugal plusieurs années avant l’installation définitive, la signature d’un mandat de vente de ses biens immobiliers français bien avant son départ de France et l’utilisation d’un compte joint ouvert par les époux auprès d’une banque portugaise à compter de leur installation n’ont pas été jugés suffisants pour établir un lien plus étroit avec le Portugal.
La Cour de cassation a jugé que la Cour d’appel en avait donc souverainement déduit qu’à la date de son décès, le défunt avait sa résidence habituelle en France et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
Pour déterminer la résidence habituelle d’une personne physique pour les besoins de sa succession, la Cour de cassation sollicite une analyse comparative entre les liens du défunt avec son nouvel état de résidence et la France ainsi que les conditions et raisons de son départ.
Afin de limiter, voire éviter un risque de remise en cause du choix opéré par le défunt, il est impératif que ce dernier ne dispose plus de résidence en France, la vente d’un bien immobilier devant être préalable au départ, et sollicite son inscription sur la liste électorale consulaire de son choix. En d’autres termes, un changement de domiciliation ne s’improvise pas et ne peut pas se résumer à la seule acquisition d’une résidence à l’étranger, personne n’étant à l’abri d’un décès brutal et inattendu.
4. Gare à l’intention libérale !
L’attention sera enfin portée sur le dernier critère retenu par la Cour de cassation afférent à la domiciliation des bénéficiaires du contrat d’assurance vie souscrit deux ans avant le départ au Portugal. Au cas d’espèce, l’une des particularités tenait au fait que le souscripteur avait désigné pas moins de onze bénéficiaires, dont deux associations françaises, lesquels ne font pas partie de ses héritières réservataires.
Pour rappel, par la rédaction de la clause bénéficiaire, le souscripteur d’un contrat d’assurance vie stipule pour autrui3. Le droit de désigner, révoquer ou ajouter un bénéficiaire est un droit personnel du souscripteur qui ne peut pas être délégué.
Au terme de l’arrêt du 12 juillet 2023, le choix que le souscripteur a effectué en rédigeant sa clause bénéficiaire a contribué, avec d’autres indices, à produire une conséquence négative post mortem puisqu’au cas d’espèce les principaux bénéficiaires étaient domiciliés en France.
On ne peut qu’être surpris par ce critère dans la mesure où, à tout le moins, la désignation bénéficiaire est intervenue environ un an et demi avant le changement de résidence du souscripteur et que le domicile des bénéficiaires est totalement indépendant de la volonté du souscripteur, voire même pourrait lui être inconnu.
En autorisant l’ouverture de la succession selon le droit français, la Cour de cassation permet donc aux héritières de faire valoir leurs droits au titre de la réserve héréditaire du défunt. Elle leur permet également d’agir sur le terrain de la notion de primes manifestement exagérées afin de remettre en cause partiellement l’attribution des capitaux décès selon une jurisprudence désormais bien établie.
C’est à notre sens la première fois qu’il a été jugé que la stipulation pour autrui produit des effets négatifs au détriment des bénéficiaires.
On notera également que les juges ne se sont attardés ni sur le siège de l’assureur pourtant fixé au Luxembourg, de nature à conférer un caractère non français à la créance du souscripteur, ni sur le fait que le code des assurances dispose que le capital dû par un assureur lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne fait pas partie de la succession de l’assuré.
Par l’effet de la loi, les capitaux décès sont réputés n’avoir jamais appartenu au souscripteur. Pourtant, le choix que le souscripteur a effectué en désignant des bénéficiaires domiciliés en France est opposable à sa veuve qui revendiquait l’application de la loi successorale portugaise.
De même, les juges judiciaires n’ont pas souhaité, comme ils en étaient invités par les auteurs du pourvoi à statuer sur la notion de fraude à la loi qui aurait été commise ou non par le défunt.
Dans l’attente d’une confirmation de cette jurisprudence, il ne peut qu’être recommandé aux candidats à l’exil fiscal d’être extrêmement prudents sur leurs choix et surtout attentifs aux moindres détails tels que principalement la vente préalable de leur résidence principale en France, leur désinscription des listes électorales et organismes sociaux.
Outre le fait de disposer d’un domicile stable dans le nouvel Etat de résidence et a minima d’un compte bancaire, l’apprentissage de la langue du pays d’accueil sera également scruté (le choix d’un pays francophone faciliterait grandement le respect de ce critère !) ainsi désormais que le choix des bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie, critère pouvant être étendu aux personnes désignées légataires d’un testament.
Notre expert
Olivier Roumélian
Avocat Associé chez Artésia - Chargé d'enseignement à l'Université Paris I